Votre environnement professionnel n'est pas... tout à fait paradisiaque ?

Vous n'êtes pas seul(e).

La Dictature Infantile du Financier

Quand le modèle opérant de l'entreprise est dirigé par la seule logique financière (ou plus exactement en pratique par une partie arbitraire de cette logique), les décisions ne sont plus prises sainement, et cela impacte négativement les employés mais aussi la rentabilité véritable de l'entreprise elle-même.

La responsabilité est celle des dirigeants du périmètre, qui sont au minimum immatures.

Exemples

  • "Il faut donner leurs 9% aux actionnaires" (ou au chef d'au-dessus) : en voulant donner un résultat minimum pour l'année, le responsable du périmètre va nuire aux objectifs à long terme, par exemple arrêter des projets à 90% d'avancement pour "limiter les dépenses", au détriment de l'intérêt global de l'entreprise (qui a déjà presque tout dépensé et gagnerait beaucoup d'argent à 100% des dits projets). L'économie de bouts de trombone et les diverses formes imbéciles de cost killing sont tout aussi dommageables.
  • Les objectifs, rien que les objectifs : en s'intéressant uniquement à des objectifs, les acteurs négligent les risques et les conséquences, le sens commun (les employés démotivés ou en burnout produisent moins pourtant) et le respect des intérêts de l'entreprise. C'est ainsi par exemple que l'on privilégie l'effciacité (résultats par rapport aux objectifs) en négligeant l'efficience (résultats par rapport aux moyens effectivement mis en oeuvre)
  • La réflexion en exercice budgétaire : certains pensent, et généralement à juste titre, qu'au premier janvier la logique économique cesse, par exemple que tous les compteurs reviennent à zéro. Ainsi certaines personnes dépensent le du budget restant n'importe comment "pour ne pas avoir moins l'année prochaine". Dans une logique économique, c'est aberrant.
  • Le travail en budget imposé : en limitant le budget en dépit de toute intelligence, la hiérarchie impose un exercice de style souvent inadapté, et aux conséquences graves. En affectant l'autorité du responsable du périmètre et la capacité de production de valeur ajoutée de ce même périmètre, le dictateur financier génère des conséquences dramatiques. Par exemple en limitant les augmentations, on limite la capacité à récompenser la valeur ajoutée, et donc à la motiver. En prime, ceux qui ont l'intelligence de s'en rendre compte et l'énergie pour partir vont partir, classique fuite des stats en cas de bracassage, et on ne garde clairement pas que les meilleurs : les confortadors, oui-oui du bracassage, personnes à faible self estime... Ou encore, une autre mesure particulièrement peu futée économiquement consiste à limiter les investissements rentables alors que la trésorerie serait décemment disponible, on limite alors la croissance de l'entreprise. (Les banques l'imposent souvent mais l'ont pour elles-mêmes contourné depuis longtemps... ^_^)
  • L'enteprise rapportera plus en étant démantelée : dans une logique économique et sur une période de temps suffisamment longue, c'est l'optimisation à l'excellence qui crée le plus de valeur et enrichit. Maintenant tant que la dictature infantile du _ secteur financier _ est laissée à la vie sauvage, sur un temps limité le démantèlement peut être plus rentable.
  • La dictature des autres chiffres : d'autres chiffres qui sont des éléments de décision bien trop partiels ont établi une dictature qui limite les options et la croissance, par exemple : le nombre d'années d'études après le bac pour évaluer la valeur d'un travail, le CA généré pour évaluer la capacité d'une personne alors qu'une partie de ce résultat (souvent jusqu'à 90%) ne lui est pas imputable, le nombre d'années dans un poste pour évaluer la capacité a donner satisfaction (alors qu'au-delà de 4 dans la plupart des cas c'est la plupart du temps l'inverse), les résultats des sondages électroraux...

Diagnostic

Vous êtes vraisemblablement en présence d'une dictature infantile du financier quand :

  • La hiérarchie vous fait comprendre que d'autres options que les chiffres recherchés ne seront pas envisagées
  • L'efficience (moyens/résultats) n'est pas prise en compte, seulement les objectifs et l'efficacité
  • Il y a des chiffres et des biais de langage (équivalences complexes, généralisation) dans la même phrase
  • Les enjeux importants pour les clients, les employés ou des tiers sont négligés sans raison ou sous un prétexte relevant des chiffres ou d'un biais de langage
  • Les modèles opérants (processus, politiques...) sont basés principalement sur une prétendue logique financière au détriment d'une logique systémique, globale et/ou humaine
  • Le système de valeurs de la hiérarchie est malsain

Stratégie

Comprenez que même si les corrections de logique financière sont souvent simples, évidentes et faciles à implémenter (il suffit de démontrer le coût indirect et de recadrer la logique financière/mathématique pour l'assainir et la relier à la logique économique), ce n'est pas là que réside le challenge.

Pour lutter contre l'idiotie voire l'imbécilité d'un tel système, vous allez avoir besoin de deux choses : identifier le défaut de la logique que l'on vous impose, et la contrer au mieux.

Apprendre à lutter contre les biais de logique

Dans un premier temps, apprenez à identifier la logique biaisée et à démontrer son coût. Vous ne le direz pas forcément directement, mais cela vous permettra de trouver la faiblesse de la dite logique. Les biais à identifier et évaluer recoupent principalement :

  • Logique de budget ou de budget annuel
  • Motivations contraires à l'intérêt de l'entreprise, notamment efficacité (résultats/objectifs) au détriment de l'efficience (résultats/moyens effectivement mobilisés)
  • Effets secondaires (directs ou indirects) : même si c'est paradoxal, c'est quelque part réjouissant, évaluez les impacts de cette logique, pensez en termes d'impacts sur les moyens de l'entreprise (en temps et en budget notamment), aux risques, aux effets invisibles sur des tableaux financiers (productivité, clients fuyants...)
  • Biais de langage, notamment les équivalences complexes et les généralisations : le procédé problématique révèle le défaut.
  • Défaut de perspective : les coupables de cette dérive (et leur flot de complices plus ou moins volontaires) oublient dans le temps ou dans les périmètres/personnes affectées, et souvent utilisent la mauvaise métrique (par exemple la réflexion en masse salariale plutôt qu'en capacité de CA, en CA plutôt qu'en marge au niveau commercial, le CA immédiat plutôt que la valeur du consommateur global à vie, etc.)

En prime, si vous pouvez localiser la source de la pratique immature, soyez conscient(e) qu'il s'agit d'un Bras Cassé. Identifier sa motivation, son défaut de compétence et/ou le problème de contexte que ce Bras Cassé ne surmonte pas va vous faciliter les choses. Un simple problème de compétence chez une personne responsable peut se corriger facilement. Malheureusement c'est une minorité des cas (où une simple suggestion va généralement suffire). La motivation et l'Ego des dicateurs du financier sont malheureusement presque toujours présents, et vous allez avoir intérêt à éviter de les affronter si vous n'avez pas l'autorité suffisante, ou à passer par un tiers.

Apprendre à contrer la logique biaisée

Maintenant que vous savez combien coûtera au final cette logique biaisée, vous allez voir comment la contrer.

C'est dramatique mais il va vous falloir être prudent(e). Un exemple de stratégie à peu de risques :

  • Qui a l'autorité sur l'application de cette logique biaisée ? Méfiez-vous des RH en mode "pas de vague" ou favorisant la bracassitude, des managers immatures ou Bras Cassés, et des services de contrôle (contrôle de gestion, financier, contrôle interne, sûreté, conseil d'administration...) quand ils s'occupent à autre chose qu'à faire prospérer intelligemment l'entreprise
  • Est-ce que la motivation de cette personne la pousse à être suffisamment responsable pour briser cette logique ?
  • Si vous jugez que oui, testez cet acteur clé. Proposez-lui une décision simple à faible effort en regard du défaut que vous avez identifié. Expliquez pourquoi (sans insister), utilisez des chiffres aussi, mettez-en valeur la simplicité de la solution et son coût faible.
  • Si votre acteur ne réagit pas de manière motivée (qu'il accepte ou refuse est secondaire), trouvez en un autre, soit au-dessus hiérarchiquement soit en transverse dans l'entreprise, changez juste votre scope pour l'intéresser suffisamment.
  • Si vous ne trouvez personne ayant l'autorité et une motivation suffisante, fuyez ce nid de Bras Cassés, pas forcément dans l'urgence mais à terme vous serez toujours mieux dans un endroit où la valeur ajoutée (humaine et économique) prédomine (comme dans la théorie des avantages comparatifs de Ricardo).
  • Si votre test est probant, poursuivez votre action en prenant garde aux Bras Cassés qui pourraient vous nuire si vous contrariez leur susceptibilité ou leurs intérêts déviants

Une autre stratégie toute simple de contrage consisterait à mettre en valeur le défaut de logique et son coût sans être trop identifié(e) comme la cible du message – par exemple en faisant une proposition d'amélioration bien visible. Paradoxalement, face à l'inconfort et au risque d'image, les Bras Cassés risquent de se calmer... mais attention, pour que cela fonctionne, l'évaluation du coût que vous allez présenter doit être suffisante et balayer toute les objections, et la communication doit être très claire, incontournable. Peut-être trouver des alliés fiables dans les systèmes de contrôle pourrait-il vous aider à faire passer ce message.

Il ya beaucoup de moyens de lutter, certains sont plus puissants mais réfléchissez bien aux risques qu'ils représentent pour vous, à court et à long terme.

Et gardez toujours en tête les différentes motivations des personnes que vous voulez affecter, et à l'opportunité la 9ème loi du pouvoir énoncée par Robert Greene : "Win through your actions, never through arguments".

Arnaud OLIERIC

"C'est la théorie qui décide de ce que l'on observe" – Albert Einstein


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