Néo-Management, la consécration des pratiques managériales malsaines, surtout en VF
On retrouve sous l'étiquette du Néo-management bien des pratiques. Malheureusement celles-ci sont rarement saines, ou du moins rarement appliquées intelligemment. Car même si les perpétrateurs de ces pratiques l'ignorent, il s'agit bien de pratiques appliquées avec force pour compenser une faiblesse managériale dont ils sont responsables.
Et pourtant à la base, le management moderne pourrait s'inspirer (à moindre effort) de nombreuses avancées en matière de management, d'organisation du travatil et de psychologie appliquée, et renforcer son management plutôt que d'affaiblir l'entreprise et les collaborateurs. Qualité, Lean, Théorie du Y, cartographie des processus ou des rôles et responsabilités, systèmes de contrôles supplémentaires… Il y aurait tant à faire, mais c'est logique que cela se passe différemment en pratique car le problème d'origine est plus profond.
Définition du Neo-managment
Sans qu'on puisse en identifier de source consistante et de principes réellement clairs (à savoir déclinés dans une pratique managérialement et économiquement incontournable et reconnue), le Neo-management semble être un leitmotiv généralisé dans le monde professionnel, une sorte de légende urbaine.
Apparue vers la fin des années 80, la notion de Néo-Management a remplacé progressivement l'image traditionnelle du management (type celle liée au cadre quinquagénaire compétent fumant des cigares monumentaux), en général sous la prétention que le besoin et/ou l'opportunité de ces nouvelles pratiques s'imposaient. On a fini par considérer que c'était un mouvement de fond général, alors que ses occurrences sont variables au niveau de chaque entreprise ou secteur.
Pour en savoir plus : La Synthèse sur le Neo-Management dans notre wiki.
Au fil du temps et des incarnations, le Néo-management a décliné de nombreux principes (et souvent "tout et son contraire"), sans grande fidélité et sans une inspiration particulièrement claire ou justifiée.
Après avoir enquêté sur diverses versions labellisées de Neo-management et tenté de vérifier dans nombre de pages indexées sur Google, posts et lectures diverses, il s'avère qu'en fait c'est surtout dans l'analyse du contexte d'application que l'on retrouve le tronc commun du Neo-management, et ce que l'on trouve n'est guère glorieux.
En effet, dans les différentes applications du Néo-management, on retrouve généralement les constantes suivantes :
- Une pression croissante d'origine darwinienne (pression concurrentielle, pression incrémentale) induisant des managers à augmenter la pression sur le collaborateur
- L'application de principes plus ou moins sains et clairs, avec un manque de compétence plus ou moins sensible, et beaucoup d'effets secondaires sur le salarié comme sur le fonctionnement effectif de l'entreprise
- Des managers pas forcément moins compétents qu'avant en moyenne, mais comme ils exercent plus d'impact, cela a plus de conséquences négatives pour le collaborateur
- Un profit recherché mais pas toujours assuré, ni constaté globalement par l'entreprise au final
Le Neo-management à la Française
Des déviances fréquentes
En compilant bien des expériences et bien des sources, nous avons l'impression que dans ses incarnations qui semblent les plus courantes en France (et insidieuses), le Neo-management se voit décliné notamment comme un modèle de « soft power » fondé sur l’ultra-personnalisation des talents, des projets et des récompenses. Voyons cela en détail, vous allez vraisemblablement y trouver un air de déjà-vu.
Les dérives que l'on constate :
- La définition très locale des objectifs et leur mesure est souvent à la merci des Bras Cassés, et aussi décorrélée de leurs impacts sur l'efficience globale (ce qui est mobilisé peut donc aller à l'encontre des intérêts de l'entreprise) et même parfois sur l'efficacité globale (et donc des objectifs communs explicitement donnés à tous).
- On arrive à une recherche tordue d'une amélioration continue de performance en refusant de mettre une note maximum "parce qu'il faut toujours s'améliorer", ce qui est l'équivalent d'une recherche malsaine de la perfection car on n'atteint jamais le maximum, et une évaluation biaisée des personnes les plus performantes
- La responsabilisation accrue du collaborateur rencontre une responsabilisation managériale/RH qui ne suit pas, et au final, ne rétribue as suffisammenent ses efforts (primes et augmentation limitées par entité, pas d'adoption des idées au-delà du budget), générant un niveau de démotivation proportionnel
- Les notions de droits/devoirs sont déséquilibrées (devoirs artificiels, droits confusionnés) et le terrorisme intellectuel cher aux Hexagonaux trouve encore une nouvelle application malsaine, parce que "il faut" et "c'est comme ça" (problème qui va en pratique à l'encontre des intérêts des employés ou parfois de l'employeur... peu importe l'esprit du principe officiellement décliné : "pas d'ouverture le dimanche", discriminations positives d'ordres divers, "pas de vagues"...).
Propagande
Pour faire adhérer les salariés à ce nouveau modèle d'encadrement, les néo-managers ont recours à toute une liturgie qui prône prétendument l'émancipation de l'individu au travail : "Soyez vous-mêmes !" ou "Venez comme vous êtes !", "Le travail c’est la vie !", "Venez comme vous êtes !", "Soyez motivé et autonome !" …
Bien que pouvant prétendre partir d'une bonne intention, ces slogans sont intrinsèquement des manipulations dangereuses (voire scandaleuses si elles sont volontaires) :
- "Soyez vous-mêmes" ou "venez comme vous êtes" misent sur la fainéantise (et en prime l'encouragent), sur l'Ego, l'instinct de routine, et prétend que l'entreprise n'est pas aliénante (générant une confusion qui diminue toute capacité à résiter aux abus).
- "Le travail c'est la vie" pousse au dépassement des horaires, à se définir au niveau identitaire comme le travail (ce qui pose des problèmes de Self Estime / Bonheur dépendant de l'extérieur et du manager, et génère de la dépression si la vie professionnelle va mal)
- "soyez motivé et autonome" déresponsabilise le manager, qui n'a plus à motiver ses troupes ni à les aider à servir l'entreprise ; en outre cela sous-entend que c'est normal d'être motivé (créant de la honte et du doute autrement) et de surmonter toutes les difficultés mêmes si elles ne sont pas de sa responsabilité (créant de l'impunité pour les Bras Cassés qui en sont responsables)
Positionnement de l'Autorité
Et dans cette version du "Management des Temps Modernes", est officiellement finie la dictature des chefs autoritaires et rigides. Ce qui en théorie n'est pas si mal. Malheureusement la déclinaison en pratique n'est pas glorieuse pour autant.
L'autorité (et les devoirs) ce n'est plus à la mode depuis quelques décennies. Et culturellement le salarié a parfois tendance à trouver cela confortable, sans voir qu'il participe ainsi à la dérive.
Alors du coup pour faire passer des décisions, il ne reste plus que deux postures : la posture déresponsabilisée "c'est comme ça" ou "on n'a pas le budget pour t'augmenter", ou le management perçu comme injuste (ce qui rappelle la peur et les risques, et programme la soumission).
Confusionnement des Responsabilités Manager/Managé
Dans l'entreprise prétendument idéalisée, l'individu peut exercer ses talents et évoluer … s'il sait ce qu'il veut, qui il est, pourquoi il est là et ce qu’il convient de faire. Et si le salarié n'y parvient pas, c'est qu'il manque de talent, de compétence ou de confiance en lui, ce qui relève de sa responsabilité et non de celle de son manager.
Déchargé de ses responsabilités d’encadrement (notamment en ce qu'il est censé mettre ses collaborateure en mesure de servir l'entreprise), le manager n’a plus qu’un seul objectif : s'assurer que chacun de ses collaborateurs est productif.
Les leviers managériaux de cette dérive
Pour s'assurer de ses propres objectifs (officiels ou autres) le neo manager "à la française" dispose en général de 2 leviers aisément abusifs … aux effets dévastateurs pour les salariés :
L’évaluation individualisée :
- L'évaluation est individuelle et personnalisée : cela donne le pouvoir au manager quelle que soit sa compétence et sa motivation réelle, et donne au RH l'alibi ne ne pas être "compétent" sur ces évaluations.
- Les critères d'évalutions sont libres : rien de tel qu'une évaluation émotionnelle (basée sur du vent) ou comparative (par rapport à d'autres, et pas à l'effort ou à l'évolution du collaborateur) quand c'est plus utile. Avec une référence libre, tout problème peut être prétendument lié à l'individu (le manager et le reste du monde sont innocents, non responsables) et/ou mise en concurrence des salariés même au sein de la même équipe
Le stress positif
Une des pratiques managériales les plus honteuses est l'utilisation (automatiquement néfaste) du stress positif (cf notre wiki notamment pour comprendre pourquoi ce côté néfaste).
Sous couvert du "Je te fais du mal mais c'est pour ton bien", "Pousser tes limites va te faire t'améliorer" (sous-entendu "tu en as besoin"), le stress est néfaste (pour l'entreprise inclus même si ses têtes et ses bras armés l'ignorent).
La pression va pouvoir être individualisée elle aussi, et/ou poussée au maximum. Ce qui en théorie (et en prétention) augmente la productivité de l'entreprise ; enfin sauf qu'en vérité, détruire la motivation et la capacité de production c'est déjà un mauvais calcul à moyen terme.
Effets secondaires
Au-delà des effets néfastes de ces leviers, la situation créée par le Néo-management individualisé va poser des problèmes de motivation (perte de sens, démobilisation face au système et à ses options) et générer des Burnout et dépressions en nombre.
Et aussi
Et ces principes, s'ils sont relativement fréquents, ne sont qu'un exemple de Néo-management : n'importe quelle adoption de principes malsains, ou avec une mauvaise exécution, va être perçu comme une regrettable nouvelle façon de manager, juste par différence avec ce qu'il y avait avant.
Dans les préceptes que l'on va retrouver souvent :
- Lean Management, délocalisation ou Taylorisation à outrance : toute forme de contrôle ou de reporting renforcé sans ajustement constructif qui en ressort (dégraisser, contrôler ou décomposer sont nécessaires plutôt que de manager correctement)
- Toutes les nouvelles marottes que l'on peut prétendre décliner ("bashing"): sigles ronflants, expressions ou concepts en vogue
- Dérive de type Dictature Financière, notamment Pression Incrémentale
- Toute forme de déresponsabilisation induite ou d'empiètement d'autorité qui réduit la capacité ou la motivation d'une personne ou d'une partie de l'organigramme (déséquilibre responsabilité/autorité)
Hélas, les variantes sont potentiellement illimitées.
Restons Discrets
Les méthodes de management sous la pression, fréquentes dans le Néo-management et les secteurs à forte pression (trading , journalisme, grande distribution, télévision, conseil…) sont suffisamment élaborées (en provenance des Etats-Unis pour la plupart) pour savoir jusqu'où ne pas aller trop loin, éviter des dérives qui se retourneraient contre leurs auteurs. Ils savent par exemple harceler sans dépasser la limite légale.
Si certaines entreprises font dans le feutré ("pas de vague", on en parle pas), d'autres préfèrent donner une impression de culture normalisée ("c'est normal on est des warriors"). D'autres profites du turnover pour y aller franchement et sans gant, payant sans doute assez cher (leurs lobbyistes bien sûr) pour que les législateurs regardent ailleurs.
Qui sont-ils ?
Les perpétrateurs / initiateurs de ces méthodes de management sous pression sont en général des managers incompétents (car négligeant ce qu'ils pourraient faire mieux et plus agréablement pour tout le monde), des petits chefs psychorigides, médiocres et sans vigueur / rigueur morale, ou même des démissionnaires sur le plan moral, des complices ayant abandonné toute intégrité.
Dans tous les cas ce sont des personnes qui pensent, sans doute à raison, ne pas pouvoir faire mieux sans méthodes malsaines.
Et il est difficile, voire impossible, d'engager une discussion contradictoire avec eux car ils ignorent ou prétendent ignorer tout du funeste dessein qu'ils servent jour après jour. Ils sont les aiguilleurs d'un train dont ils ne maîtrisent ni la puissance ni la destination, et qui pensent que rouler lentement et désagréablement est la consécration de la performance.
Comment lutter ?
Pour surmonter les pratiques Néo-managériales, l'idée est d'en compenser, ostensiblement ou non, les bénéfices attendus. Attention, car cela n'aide pas forcément à ne pas en souffrir nerveusement, émotionnellement et moralement.
Il y a tellement de cas possibles que nous détaillerons les tactiques correspondantes dans d'autres articles, mais retenez l'idée.
Et dans tous les cas, si vous ne pouvez pas changer le système ou en neutraliser les effets, envisagez de vous y soustraire.